Maybe, I have something to tell you | Samuel

Je jette un regard à mon téléphone...

Encore un appel en absence, qui vient rejoindre la longue liste. Je devrais répondre. Au moins par SMS. Alors que je veux rester discret, mon silence risque surtout d'attirer l'attention. Je me saisis de mon téléphone et... J'ignore quoi écrire à Samuel. Est-ce que ça va ? Non, absolument pas. Ça devrait. Mais ce n'est pas le cas. J'ai retrouvé mon jumeau, le but de ma vie depuis plusieurs mois, sauf que cela ne s'est pas du tout passé comme prévu. Qu'est-ce que j'imaginais au juste ? J'ai été aveugle et stupide... Si Aodh avait choisi de disparaître des radars, ce n'était pas par caprice... j'aurais du y songer. Mais il trempe dans tellement d'affaires louches et fait tellement de trucs illégaux que vouloir disparaître aurait pu être explicable ainsi. Sans parler de ses activités au sein des Shepherds, dont j'ai ignoré la nature. Enfin... Il mes les a caché, sachant très bien ce que j'en penserais. Je n'ai jamais vu d'un bon œil qu'il rejoigne ces extrémistes aux idées étriquées. Je ne porte pas les CESS dans mon cœur, mais je dois admettre que certains ne méritent pas une chasse injustifiée. Je reste encore fervent défenseur des droits de chacun. La justice doit exister et être appliquée, ainsi que la loi. Et ça... Les Shepherds l'oublient. Là dessus, mon frère et moi ne serons jamais d'accord.

Et pourtant, me voilà à l'héberger dans le secret... Et à me demander ce que l'avenir me réserve, me remettant difficilement des blessures qu'il m'a infligé... Il dort encore d'ailleurs. Il est très tôt. Je ne sais pas si il le fait de se retrouver chez moi, dans un environnement propre et sécurisé le tranquillise un peu après sa vie dans son squat épouvantable, ou si il dormait déjà comme ça, mais je profite de ce moment pour aller dans la salle de bain, faisant des gestes précautionneux pour me laver. Sans trop humidifier les bandages. En dessous, la preuve de la monstruosité de mon frère... Mordu lors de sa dernière mission. Voilà la raison de sa disparition... Devenu de qu'il hait. Et la colère en lui est tellement grande et violente... Il a toujours été plus virulent que moi, mais là, c'était comme si ça explosait.

Et j'ai peur de suivre cette voie. J'ignore si je suis contaminé à mon tour. Il m'a attaqué si violemment, incapable de se contrôler... Il reste une chance qu'il n'ai pas réussi mais... J'ai peu d'espoir. La prochaine pleine lune sera décisive. Et je laisse passer les jours sans savoir quoi faire. Trouver un lieu où m'enfermer, c'est certain. Je suis encore en congé pour le moment, je n'ai pas à gérer le travail tout de suite, même si je vais devoir m'en occuper aussi. Je n'ai même pas dit à ma belle-sœur que j'avais retrouvé Aodh... Tu parles... Son époux est devenu ce qu'elle déteste aussi. Je passe une main sur mon visage las et trop pâle. J'ai perdu beaucoup de sang. Plus la fatigue et l'inquiétude... C'est encore un miracle que je tienne debout. Aodh s'est remis comme un charme de cette nuit là. Pourquoi m'y suis-je rendu à la tombée du jour aussi ? J'ai manqué à toute prudence.

Je suppose que je mérite mon sort.

J'ignore cependant si il est scellé.

Et avec tout ça, je n'ai pas répondu à Sam. Je finis par lui dire que je suis juste tombé malade et que cela me prive de séances matinales de jogging, ou même de sortir boire un verre. Et la réponse ne se fait pas attendre, alors qu'il gueule à moitié de pas avoir donné de nouvelles, et propose de passer pour me dépanner. Et j'ai beau lui dire que ça va... Il insiste. Sauf que je ne peux pas le laisser entrer chez moi avec Aodh dans les parages. Je m'empresse de proposer de passer au garage pendant midi. Pour manger un morceau ensemble. Cela me laisse un peu de temps pour reprendre une allure plus... acceptable. Je laisse un mot à mon frère et me fais violence pour sortir. En plein jour, cela ne risque rien... Et ça me fera sans doute du bien de sortir de chez moi. Il fat que je fasse tout pour paraître normal. Même si mon visage porte les stigmates d'une altercation violente. Mais Sam sait que je suis dans les forces de l'ordre, rien d'étonnant à ça. Je fais un détour pour prendre deux cafés et me pointe peu après midi au garage de Sam. Je porte des lunettes de soleil en cette journée éblouissante et moite. Cela masque aussi les traces d'épuisement. Il est en train de réparer le dessous d'une voiture et j'attends sagement. Il m'a appris quelques trucs quand on a retapé une moto ensemble. Cela a pris du temps, mon boulot ne me laissant que peu de loisirs hélas. Quand il sort de sous la voiture, j'accroche un sourire factice sur mes lèvres. « Café ? » Une offrande pour me faire pardonner mon silence...

Humpf.

Je sais pas ce qui est le pire. L’absence de réponse de Ciaran à mes messages ou le ridicule de la situation quand je suis allé demandé à Elizabeth ce qui clochait avec mon téléphone pour qu’elle me réponde que, pour une fois, tout allait bien. Entre les deux, mon cœur balance. Evidemment, elle s’est gentiment moquée de moi et m’a demandé quel était le message ou l’appel que j’attendais avec autant d’impatience. Evidemment, j’ai rien répondu et je lui ai filé un sachet de beignets pour détourner son attention avant de filer. Mais autant dire que je suis, depuis quelques jours, partagé entre l’inquiétude et l’agacement. Il faut dire qu’être un simple humain à Shreveport c’est plutôt compliqué et risqué pour la santé. Encore plus quand on est flic. Alors, forcément, sans nouvelle du gamin – qui serait furax à l’idée que je puisse l’appeler comme ça dans mon esprit – j’ai commencé à me poser des questions sur ce qui avait pu lui arriver. Faut dire que je me suis habitué à la longue. A courir tous les matins ou presque avec lui. A boire quelques bières le soir, de temps à autre. Et même à lui expliquer quelques trucs pour sa moto.

Mine de rien, on finit par tisser des liens au bout de presque dix ans. Et comme Ethan, il a réussi à faire partie de ces très rares humains qui font exception à la règle. De ceux que j’ai fini par apprécier, même si j’ai comme un vieux sur leur réaction s’ils savaient ce que je suis. Ce genre de secret, à la longue, finit quand même par devenir pesant, surtout à force les côtoyer régulièrement. J’aime pas leur mentir, mais j’ai pas non plus envie de me retrouver dans une situation difficile. Pire encore, de me retrouver d’un coup face à un ennemi, tout ça parce que je suis différent. Ce genre d’interrogation à laquelle la Révélation n’a pas permis de répondre, bien au contraire.

Un vague soupir contrarié alors qu’il finit enfin par me répondre. Et j’ai beau savoir me servir d’un téléphone comme d’une brique – encore que, je suis plus doué avec une brique – je me prive pas de le pourrir. Toujours est-il qu’il me parle de venir déjeuner. C’est déjà ça. Au moins, c’est pas devenu un vampire. Oui, je me posais la question, évidemment. Ce serait quand même le pire qui pourrait lui arriver. Avec la mort. Hum. Ca mérite réflexion.

Je finis par ranger tout ça dans un coin de ma tête, focalisé sur ce moteur qui me donne du fil à retordre. Et comme je suis toujours pas d’humeur, je chasse mes apprentis et je les envoie bosser sur autre chose, avant d’entendre le bruit des pas de Ciàran marteler le béton du garage. Je finis quand même ce que j’ai à faire et je sors de sous la voiture, attrapant un torchon pour m’essuyer les mains. Sans lui répondre, je l’observer longuement sans rien dire. Avant de lâcher mon verdict. « T’as vraiment une sale gueule. » Le fait qu’il porte des lunettes de soleil masque pas les traces de coups. Et il a clairement l’air épuisé. Ca se voit à son teint pâle mais aussi à la façon dont il se tient. Sa respiration est inhabituellement rapide aussi. « T’as bu combien de cafés pour tenir debout ? » Je balance mon torchon un peu plus loin avant d’aviser Dennis pour le prévenir que je serais pas dispo les prochaines heures. Et je lui désigne la porte menant à mon appartement. « J’espère que t’as faim. » Perso, j’ai la dalle, mais c’est habituel ça. Je finis par attraper le café qu’il m’a tendu, un peu comme si j’acceptais son offrande. Pour autant, j’attends de voir ce qui s’est passé et j’apprécie moyen le fait qu’il se soit fait passer à tabac, flic ou pas.

Je soupire intérieurement... Évidemment, cela ne peut pas lui échapper. Bon, en même temps, il aurait fallu être aveugle pour que ce soit le cas. Et comme je ne suis pas encore une reine du maquillage et que je ne sais pas cacher les hématomes... Bref. Samuel me sonde pendant quelques secondes et le verdict est sans appel. Je claque de la langue, un peu agacé, avant de répondre avec ironie, plutôt qu'énervement : « Et tu t'étonnes que je n'ai pas réclamé ta délicieuse compagnie avant ? » Au moins, il n'a pas à se poser trop de questions concernant mon... absence. Même si il doit se faire plusieurs scénarios. Et qu'aucun ne sera assez proche de la réalité. Même si du coup, j'ai légèrement menti en disant être malade. Mais c'est moins inquiétant que de lui avouer que je me suis battu. Et que j'ai pris une sacrée dérouillée... J'ai un frisson en songeant à ce qu'il se serait passé si je n'avais pas eu mon arme avec moi... Aodh m'aurait-il tué dans sa rage meurtrière ? Je pense sincèrement que oui... Tant je n'ai pas reconnu mon frère dans l'éclat brutal de ce regard doré qui n'est pas le sien...

Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre. Il n'y a rien que je puisse faire. Il n'existe aucune thérapeutique pour empêcher le venin e faire son œuvre et prévenir une éventuelle contamination. Même si il y a un maigre espoir, de façon complètement objective... Je ne pense pas m'en sortir indemne. Il m'a vraiment blessé salement. Ce n'est pas encore totalement cicatrisé et j'ai encore l'impression d'avoir été passé dans une moissonneuse batteuse. Ce n'est pas très agréable. « Pas assez. » Et en vrai, c'est plutôt au whisky que je préfère carburer dernièrement, vu comment ma vie a pris un tournant inattendu et dramatique. Devenir une de ces créatures que je combats depuis des années, c'est un vrai cauchemar. Moins que pour mon frère, mais ça reste un changement traumatisant. Je ne me suis jamais senti autant ballotté par le destin, même quand ce maudit sorcier a envoûté notre père et nous a volé notre insouciance en faisant imploser notre famille. Même là, j'ai su comment agir, malgré la rage et la tristesse.

Mais cette fois...

Je me masse le front du bout des doigts, par réflexe, mais aussi parce que j'ai l'impression qu'avec toutes ces interrogations et ces angoisses, mon cerveau va exploser... Samuel décide alors de se prendre quelques heures... Ah... Moi, je songeais passer rapidement, le rassurer vite fait et rentrer. Enfin le rassurer... Ouais, je dois revoir ma méthode je crois... « Je ne veux pas bouleverser ton programme, on peut se faire un truc plus tard... » Mais évidemment, il en a décidé autrement et il n'est rien que je ne puisse dire qui le fasse changer d'avis. A la mention de la nourriture, je m'apprête à protester, quand mon estomac me trahit, se réveillant pour l'occasion. J'ai une grimace. Faut dire que je ne fais pas des repas très réguliers dernièrement... Et oui, je meurs de faim. Une faim de loup comme on dit.

L'expression n'a peut-être jamais été aussi vraie d'ailleurs...

« On dirait que oui. » J'ai sans doute besoin de recharger mes batteries après ces épreuves. Et puis la perspective d'un repas confectionné par Samuel, ça me tente plutôt bien... En réalité, juste avoir quelques heures de normalité... Ce sera déjà un soulagement intense, alors que je vis dans l'angoisse et la tension depuis qu'Aodh m'a mordu.

Je sais que je devrais prendre du recul. Et que, même s’ils auraient eu le même âge, l’homme qui me fait face a rien à voir avec le fils que j’ai pu perdre il y a des années de ça. Pourtant, il y a bien trop de choses que j’ai du mal à ignorer. Leur humanité, cette foutue humanité qui les rend si fragiles, qui fait d’eux des cibles de choix pour les pires crasses que Shreveport peut cacher. En temps normal, je m’inquiète pas autant. Parce que j’ai arrêté de fréquenter des simples humains. Comme quoi, c’était pas forcément le plus mauvais des choix que j’ai pu faire. Parce que c’est probablement le meilleur moyen d’éviter de perdre cet équilibre si difficilement retrouvé.

Et pourtant, il y a toujours ces foutues exceptions à la règle. Et Dieu sait que ça me porte sur les nerfs. Franchement, je préfèrerais de loin être totalement indifférent à leur sort et resté focalisé sur ma Meute. Mais non, à voir le gamin dans cet état, forcément, ça fait remonter bon nombre de choses que j’aurais préféré voir rester dans l’ombre. Et, pendant un instant, je peux pas m’empêcher de me demander. Est-ce que Damian aurait été comme lui ? Est-ce qu’il aurait été humain comme sa mère ? Est-ce que j’aurais fini par, au bout d’un moment, donner l’impression d’être à peine plus vieux que lui ? Est-ce qu’on aurait réussi à cohabiter malgré tout ? Est-ce que j’aurais accepté de les voir vieillir et mourir sous mes yeux ? Personne ne devrait survivre à ses enfants. Jamais. Et je sais que je dois ranger toutes ces questions avec le reste, avec ces souvenirs que je refuse de consulter trop souvent.

Je dois me focaliser sur le présent et, dans l’immédiat, sur Ciàran. Qui est bien vivant lui. Bien que salement amoché donc. J’arque un sourcil à sa répartie, laissant tout de même filer un ricanement. « Pourtant, je suis d’une excellente compagnie. » On sait tous les deux que c’est faux. Enfin, surtout moi. Pour autant, je me suis grandement amélioré ces dernières années, maintenant que j’ai enfin arrêté de constamment regarder par-dessus mon épaule et de penser à ce qui a pu se passer dans ma vie.

Sa réponse cryptique quand je parle de café m’arrache un froncement de sourcils, mais je me passe de commentaires. Dans l’immédiat en tout cas. Je compte quand même pas le laisser filer sans en savoir un peu plus, plus pour soulager mon côté mère poule qu’autre chose, j’en suis parfaitement conscient. Mais si je suis inquiet, je sais que ça va impacter la Bête et que ça peut nous porter préjudice à tous les deux. Et s’il a l’air, l’espace d’un instant, de chercher une excuse pour repartir, son estomac parle pour lui. « Ah ouais, quand même… » Un mouvement de la tête alors que je grimpe les escaliers rapidement, non sans boire quelques gorgées du café qu’il m’a ramené. On peut déjà voir que Théa s’installe doucement mais surement ici. Quelques traces, çà et là, d’une présence féminine qu’il y avait pas avant. Et un peu plus de bordel. Enfin, j’imagine que pour n’importe qui de normal, c’est tout à fait rangé, mais mon esprit un peu maniaque sur les bords et les entournures a un peu de mal à faire avec. Mais, vu qu’elle fait des efforts, j’en fais aussi. La base quoi. Et puis, même si ça fait que quelques jours, c’est agréable de l’avoir à la maison.

Je pose direct du coca sur la table. En général, chez les humains, ça a quand même un effet boostant et le sucre est toujours le bienvenu. Steaks attrapés dans la foulée, je laisse filer quelques minutes de silence avant de reprendre, sur le ton de la conversation. « Alors, tu veux me raconter ce qui t’est arrivé ou on fait comme si de rien était ? » Quelle que soit l’envie que j’ai de savoir ce qui s’est passé, ça reste hors de ma juridiction de Bolverk. Et faut aussi que je m’y habitue. « Et surtout… est-ce que je peux t’aider à quelque chose ? » Ca, c’est probablement le plus important.

« Elle n'est pas si mauvaise, je dois le reconnaître. » Sinon je ne serais pas là. Enfin, il m'a un peu forcé la main, je ne peux pas me permettre d'éveiller les soupçons et attirer trop l'attention sur moi et encore moins sur Aodh, qui est toujours officiellement disparu d'ailleurs. Quel merdier... J'ai beau retourner la situation dans tous les sens, essayer de l'envisager sous tous les angles, je ne vois guère de solutions. Pour lui, c'est déjà trop tard. Et pour moi... Je crains que ce soit la même chose. Il y a quantité de signes infimes qui ne trompent pas, même si j'aimerais mettre cela sur le compte d'une certaine paranoïa. La transformation n'est pas forcément automatique, mais Aodh n'y est pas allé de main morte avec moi alors... Je me passe une main dans les cheveux, comme si cela pouvait remettre de l'ordre dans mes pensées et m'éviter de ruminer à l'infini une situation qui me paraît impossible à résoudre. Si je deviens lycan à mon tour, j'ignore encore quoi faire de ma vie et quoi faire de cette condition... Lâcher mon boulot ? Vivre comme un clochard comme mon frère jusque maintenant ? Non... Continuer et mentir ? Je me trahirais forcément à un moment. Ah... j'ai dis que j'arrêtais de songer à tout cela. Sauf que c'est difficile quand Samuel remarque bien que je ne suis pas en forme et que j'ai été passé à tabac. Cela ne fait que quelques jours, une éternité à mes yeux, alors que je suis habitué à être actif et ne pas avoir assez de temps dans une journée pour tout faire, ce qui me permet de ne pas trop penser. Mais depuis l'attaque de mon frère, j'ai beaucoup trop de temps, n'osant pas sortir, n'étant pas en capacité non plus alors qu'il m'a sévèrement blessé. Les blessures sont toujours là, mais en voie de guérison. Est-ce que c'est plus rapide que d'ordinaire ? J'ai l'impression que oui, mais est-ce encore le fruit de ma paranoïa grandissante ou une réalité ?

J’emboîte le pas à Samuel après qu'il m'ai invité à manger. Je pense qu'il va vraiment falloir que je fasse les courses alors que mon frigo est complètement vide, dévalisé par Aodh. Est-ce que je lui en veux de s'être terré tout ce temps sans m'informer qu'il était en vie et sans me dire sa condition de lycan ? Oui. Cela aurait évité mes ennuis actuels. Et je ne lui aurais pas tourné le dos pour autant. Il n'est rien qu'Aodh puisse faire qui me fasse me détourner de lui, même si me mordre et probablement me condamner au même enfer que lui fait tout de même partie des raisons qui me donnent envie de l'étrangler et de tout envoyer balader.

J'observe son intérieur, chaleureux et familier, même si je note quelques changement subtils. Je fronce les sourcils, me demandant si c'est mon imagination ou bien si quelqu'un s'est installé avec lui. Une copine ? « T'es tellement débordé que ça ne ressemble plus à un appartement témoin ? » Il Y a un peu de désordre, ce qui ne ressemble pas à ce maniaque. J'ai un regard sceptique vers lui quand il sort le coca. « T'as pas du whisky plutôt ? » Il connaît mon amour pour cette boisson. Et il n'est jamais trop tôt pour en boire. A sa question j'hésite... Une semi vérité, cela reste le mieux pour ne pas tout dévoiler. « Tu sais que je cherche toujours des traces de mon frère. J'ai fais une mauvaise rencontre. » La vérité absolue, sans préciser que la mauvaise rencontre, c'est justement l'objet de ma recherche. A sa dernière question, j'ai une violente envie de lui demander si il connaît des lycans... Je cherche comment formuler la demande sans trop en dévoiler. Je sais qu'il n'est pas anti-CESS. Il côtoie peut être des loups. Mais il va forcément se poser des questions. « Depuis le temps que tu vis dans cette ville, est-ce que tu connais des lycanthropes ? Ou un moyen de contacter la meute ? » Je préfère ne pas passer par quatre chemins finalement. Libre à lui de deviner que la mauvaise rencontre est un lycan. Et peut-être de penser que je veux juste savoir qui il est... Ou de se douter que je n'ai pas été que frappé et malmené... Mon cœur se met à battre plus vite, dans l'angoisse de sa perspicacité, espérant tout à la fois qu'il devine et qu'il passe complètement à côté et me donne juste une réponse. Je ne sais pas ce que je veux. La seule certitude : je passerais la pleine lune dans un endroit sûr.

Si j’ai un vague sourire en retour, je me passe de tout commentaire. S’il ne voulait pas que je lui pose trop de questions, un message aurait suffi, on le sait tous les deux. Il commence à suffisamment bien me connaitre pour ça et pour être conscient qu’en le voyant dans cet état, j’aurais forcément un paquet de questions plus ou moins formulées de vive voix. Au moins, il essaie pas de fuir directement, c’est plutôt un bon point lui.

Une fois dans mon appart, je continue de l’observer, sans vraiment m’en cacher. Il y a nombre de détails qui me sautent aux yeux et les pièces du puzzle commencent à former une image que j’arrive pas encore totalement à cerner. Mais j’arrive à être patient dans ce genre de situation et je laisse Ciàran se mettre aussi à l’aise que possible. « Mmmmh ? Ah oui. » Forcément, il a remarqué. En même temps, il est flic, c’est aussi son boulot de déceler les changements, aussi subtils qu’ils puissent être. « J’héberge ma nièce quelques temps, elle est venue s’installer dans la région. » De toute façon, s’il traine dans le coin, il sera forcément amené à la croiser. Donc autant éviter de tourner autour du pot. J’arque tout de même un sourcil quand il demande s’il j’ai du whisky avant de hocher la tête. « Ouais bien sûr. Mais tu devrais quand même boire le coca. T’as besoin de sucre. » Et, poussé par un instinct qui me souffle que nos échanges me donneront envie moi aussi de boire de l’alcool, je nous sers deux verre, l’écoutant avec attention. « Une mauvaise rencontre hein… » Soufflé dans un murmure à peine audible. Dans le coin, ça veut tout et rien dire. Mais c’est une pièce de plus dans le puzzle. « T’as toujours pas retrouvé ton frère alors ? »

Et j’ai un temps d’arrêt quand il me demande si je connais des lycanthropes. Ou, mieux encore si j’ai un moyen de contacter la meute. Forcément, le regard que je pose sur lui brille d’une intensité nouvelle, alors que la Bête pointe aussi le bout de son nez, curieuse. « Je connais beaucoup de monde oui. Ca fait un moment que je traine dans le coin après tout. » Soufflé d’un ton prudent, alors que je retourne les steaks. « Quelle cuisson ? » Et j’ajoute, comme si de rien était. « La prochaine pleine lune est dans quelques jours à peine. Est-ce que tu aurais besoin de les contacter avant ? » Tout en parlant, j’ai sorti à manger pour une famille entière, ou seulement une petite poignée de garous. Des épis de maïs, le reste de purée de la veille que je fais réchauffer et j’en passe, alors que la table croule rapidement sous la bouffe. Après tout, si je suis le chemin qu’il est en train de me baliser, ce sera probablement tout juste suffisant pour nous deux.

Et surtout, sans mot dire, je fouille au fond d’un des tiroirs, sortant des couverts soigneusement enroulés dans une serviette que je pose de son côté. Un moyen infaillible – et peu sympathique – de savoir à quel point il essaie de m’embobiner ou pas. Théa a rapidement été mise au courant des quelques couverts en argent qui trainent dans ce tiroir. Ca peut toujours être utile, comme c’est le cas, là, de suite. Je bois quelques gorgées du whisky, abandonnant même l’idée du café. Parce que ouais, si Ciàran a besoin de la meute, le reste de la discussion risque d’être… compliqué.

« Ta nièce ? » Je lui jette un regard un peu surpris. Il ne parle pas souvent de sa famille et je ne l'ai jamais vu avec l'un d'entre eux. Je sais qu'il a perdu sa femme et ses gosses dans un accident de voiture et au vu de la tragédie, je n'ai jamais cherché à en apprendre davantage, surtout alors qu'il se montre aussi fermé dés lors que le sujet est abordé. Mais de ce que je me souviens, sa nièce n'habitait vraiment pas dans le coin. « Cela doit te faire bizarre... » De vivre avec quelqu'un, une femme. Je l'ai toujours connu seul, dans le genre célibataire endurci. Elle doit le rendre chèvre si elle déplace des objets et ne respecte pas tout ce qu'il dit à la lettre.

Mais je relègue le sujet de sa nièce dans un coin, alors qu'il me propose à boire... du coca. Je ne cache pas mon scepticisme face à ce choix de boisson. Actuellement, ce dont j'ai besoin, c'est d'un truc fort pour oublier dans quelle situation merdique je me suis fourré. Je lui lance un regard un peu dubitatif quand il commente mon besoin de sucre. Hum... Peut-être. Il consent tout de même à me servir en alcool et lui aussi par la même occasion. J'observe le liquide ambré dans mon verre quand il souligne la mauvaise rencontre. Je n'ai pas choisi mes mots au hasard. J'ai désespérément besoin d'aide, une aide que mon frère ne peut pas m'apporter, alors qu'il se gère déjà... mal. A mon avis. Si je suis voué à devenir comme lui, et j'ai très peu de doutes là dessus, je veux être en capacité de l'aider. Et pour cela, je dois avoir dans quoi je m'aventure et ne pas vivre dans le déni. J'analyse cela de façon très logique, en essayant de laisser l'affect.

Un problème : j'ai été mordu et je suis susceptible de devenir un loup à la pleine lune.

Une solution : m'enfermer dans un endroit sûr pour ne blesser personne.

Une ressource : ceux qui savent depuis toujours gérer ce genre de problèmes... Les lycans eux-même et donc la Meute.

Tout est très raisonnable et simple ainsi, sauf que je ne connais aucun lycan. Mais un vieil ami, qui a toujours vécu ici et qui a les idées bien plus larges que moi, lui, dois savoir. Une voix me souffle que Samuel ne me dénoncera pas du fait de mon changement de nature, mais c'est me fier à mon instinct. Il ne m'a que très peu fait défaut jusque là. Peut-être seulement quand j'ai trouvé Aodh et que je n'ai pas fui quand tout indiquait qu'il n'était plus le même. « Non. » Je soupire et bois une gorgée de whisky. Je ne souhaite pas trahir mon frère. Pas tant que je ne sais pas comment gérer toute la situation. Il s'est caché tout ce temps, ce n'est pas pour répandre la nouvelle de son retour. Pour le moment, si on le voit, on pourra toujours penser que c'est moi. « Je m'accroche à l'intime conviction qu'il est en vie, mais les preuves manquent. » Je m'enfonce davantage dans le mensonge, mais je n'ai pas le choix. Cette décision de contacter la Meute est le mienne seule. Et je refuse de mêler Aodh à ça malgré lui.

« Ouais, c'est ce que je me suis dis. » Je renchéris avec un mince sourire, avant de répondre simplement à sa question, sans y prêter attention : « Saignant. » Je relève cependant le regard vers lui quand il insinue que la pleine lune est proche et que j'aurais peut-être besoin de les contacter avant. « Le plus rapidement possible. » Je nuance un peu. Est-ce qu'il a compris ? Est-ce qu'il bluffe ? Il met la table naturellement et commence à disposer les victuailles. « Hum, tu as convié quelqu'un à manger avec nous ? » La quantité de nourriture m'interpelle. Mais mon estomac gronde de nouveau. J'ai vraiment faim. Je salive presque, alors que je me saisis des couverts pour commencer à manger. Je ne fais pas vraiment attention sur le coup, mais les paumes de mes mains commencent à me démanger de façon très désagréables, si bien, que je jette un œil et observe la rougeur qui s'y installe déjà. Merde... J'observe alors les couverts... le poinçon... De l'argent ? Mon cœur se met à tambouriner plus fort alors que je l'épingle du regard... et qu'il m'observe. Je frotte mes paumes sur mon jean sous la table, comme si cela allait changer quelque chose. Je crois que je ne peux plus vraiment avoir de doutes... Je force pourtant, j'ai encore faim. Peut-être qu'en mangeant rapidement.... Avant que ce soit intenable.

Un bref hochement de tête en réponse et j’ai une ombre de sourire. « Je confirme, ça fait bizarre de plus vivre tout seul. Mais c’est pas forcément désagréable. » Et Théa sait comment faire pour ne pas donner l’impression qu’elle s’impose. Quelques jours à peine qu’elle est là et déjà, elle a réussi à se faire sa place sans la moindre difficulté. On commence même à avoir nos petits rituels et oui, la présence de la jeune femme me fait du bien. Contre toute attente, surtout la mienne.

Et je continue d’observer le jeune homme avec attention, captant chaque changement infime dans son comportement, alors qu’il finit par me dire qu’il a toujours pas trouvé son frère. « Je me doute que tu as bien plus de moyens que moi pour le faire mais… si t’as besoin d’aide… » Comme il le sait, je connais du monde. Pas forcément les bonnes personnes ou qui pourraient lui apporter des nouvelles rassurantes par contre. « Tant que tu n’as pas de preuves formelles qu’il ne l’est pas, continue d’espérer. » Ca peut paraitre naïf, mais au vu de l’endroit où on vit, plus rien me semble impossible.

« T’es venu frapper à la bonne porte. » Ce qui peut tout et rien dire, selon comment il décide de l’interpréter. Dans l’immédiat, j’essaie surtout de comprendre les conséquences de tout ça. Et je sais pas vraiment quoi en penser si c’est vraiment ce qu’il sous-entend avec la subtilité d’un bulldozer. Au moins, il a le mérite d’essayer et, avec une personne qui serait pas dans la confidence, ça pourrait fonctionner. Manque de bol – ou alors c’est tout le contraire – je suis relativement au fait de la thérianthropie. Et peut-être que je devrais être plus sympa dans ma réaction. Peut-être que je devrais éviter de tester ses dires avec un moyen pas vraiment délicat. Mais ça devrait juste être plus gênant qu’autre chose si je me trompe pas.

Un vague sourire à sa remarque devant toute la nourriture et je hausse une épaule. « Si je me trompe pas, ce sera tout juste suffisant. T’as pas un plus gros appétit qu’avant, à tout hasard ? » Je commence à manger, non sans un regard attentif à la façon dont il manie ses couverts. Et, après quelques secondes, je vois que ses mains ont rougi. Rien de bien méchant, mais assez pour que j’en ai le cœur net en tout cas. Alors, sans rien dire de plus, j’attrape ma serviette, lui ôtant lesdits couverts rapidement. Trop rapidement pour que ce soit parfaitement humain soit dit en passant. Et j’ai une brève inspiration. « Bon. Tu peux continuer de tourner autour du pot tout le repas. Ou me dire exactement ce qui t’est arrivé. Quand c’est arrivé. Et tes symptômes depuis. » Autant dire que le fait qu’il puisse y avoir un loup hors de contrôle m’enchante pas vraiment. Après, vu le boulot qu’il fait, c’est pas non plus une énorme surprise qu’il se fasse attaquer. Donc j’évite de sauter aux conclusions, c’est pas trop le genre de la maison. « Et en fonction de tout ça, je te dirais comment je peux t’aider. » Ma voix s’est faite plus basse, plus grondante. Potentiellement pour lui rappeler, inconsciemment, que je suis plus vraiment en train de déconner là. Mais il est quand même pas tout seul dans cette histoire.

Je me contente de hocher la tête quand il me confirme que ce n'est pas désagréable. Même si cela doit bien changer ses habitudes. Me voilà à vivre de nouveau avec mon frère, après des années où il était avec sa propre famille et moi, seul, avec quelques demoiselles de passage, mais jamais jusqu'à ce qu'elles laissent la moindre trace de leur présence. Et pour Aodh... C'est temporaire. Il ne restera pas. Le temps de se retaper un peu sans doute et que nous réfléchissions à l'avenir, même si nous n'avons pas la même façon de l'appréhender je pense. Je me dois de mentir à Samuel quand il me demande si j'ai trouvé mon jumeau. Je ne peux pas me permettre de le compromettre encore. Mieux vaut qu'il demeure disparu, c'est bien plus simple. Il me propose son aide bien sûr et je me contente d'un sourire un peu triste, mais reconnaissant : « Je sais. Merci. » Malheureusement, je ne peux plus vraiment faire appel à lui et ses contacts maintenant, cela risquerait de trahir Aodh et c'est bien la dernière chose que je peux souhaiter. J'ajoute tout de même que cela n'est qu'une intime conviction qu'il est en vie. Cela l'était, jusqu'à ce que je le trouve vraiment et que ça devienne une réalité. J'ai eu raison de me fier à mon instinct. « Tu as raison. »

Et finalement, m'avoir recontacter ainsi, me pousse à lui demander un peu d'aide. Comme il l'a sous entendu plus tôt, il connaît du monde. Il est implanté dans la ville depuis... toujours ? Je le sais plutôt ouvert vis à vis de la question des CESS. Qu'il en connaisse et en fréquente ne m'étonnerait vraiment pas. Pour ce que j'en sais, moi-même, j'en compte dans mon entourage sans en avoir conscience... Alors quand je lui demande de l'aide, il me confirme que je m'adresse à la bonne personne. Nous nous installons alors pour déjeuner, un déjeuner gargantuesque. Il y a à manger pour quatre au moins, et je pèse mes mots. Je tique un peu quand il me répond que s'il ne se trompe pas, ce sera juste suffisant... Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Je doute qu'aucune parole soit anodine. Les miennes ne le sont pas et j'ai l'impression que Samuel marche lui aussi sur des œufs. Et quand il me demande si je n'ai pas un plus gros appétit qu'avant, j'ai comme un pressentiment... La réponse est oui, mais je ne réponds pas, préférant me concentrer sur la nourriture.

Et les couverts.

En argent.

Je ne le comprends que tardivement, quand l'action de l'argent a commencé à faire réagir ma peau. Jusqu'à maintenant, cela ne m'a jamais dérangé... Mais depuis la morsure... Samuel se lève alors et récupère les couverts. Avec une serviette. Je lève alors les yeux vers lui, le cœur tambourinant beaucoup trop fort dans ma poitrine. Les pièces du puzzle commencent à s'assembler et le doute s'immisce. Se pourrait-il que cet homme que je connais depuis une décennie m'ait caché sa vraie nature durant tout ce temps ? Je le regarde comme si je ne le connaissais pas. J'ai l'impression de manquer d'air, et sa façon de terminer, de cette voix particulière, me fait attraper la fourchette en argent, me moquant de la serviette, pour ensuite tenter de la poser sur le bras de Samuel, vérifiant ainsi mon hypothèse.

Samuel est un garou. Depuis quand, je l'ignore, mais il a compris que j'ai été mordu et que je ne sais pas quoi faire de ça. Et il m'a testé. L'appétit. L'argent. La vitesse. La demande de tout lui raconter... Tout s'assemble parfaitement. Je suis venu demander de l'aide... directement à un thérianthrope.

Les secondes semblent s’égrainer avec une lenteur inhabituelle, alors que Ciàran distille avec lenteur des miettes d’informations le concernant. Il a de la chance, je suis plutôt patient pour ce genre de choses, même si une part de moi a quand même vaguement envie de le secouer pour qu’il balance tout et qu’il arrête de tourner autour du pot. Pour autant, je suis parfaitement conscient que la situation a rien de facile et c’est pour ça aussi que je m’efforce de lui laisser le temps.

Mais j’ai déjà la vision d’ensemble du puzzle qu’il s’efforce de construire lentement sous mes yeux. Il me tend une perche, je lui en tends une autre, avant de me décider à crever l’abcès plus franchement et pour éviter qu’on passe encore un temps infini à se renvoyer la balle.

Et je vois dans son regard ce moment où il comprend. Ce que je suis. J’ai déjà vu ce regard chez d’autres. Cette lueur d’incrédulité devant une réalité parfois trop compliquée à assimiler. Surtout après des années de secret, de mensonge. Oh, je sais qu’il pourrait m’en vouloir – il le fera probablement. Mais c’est pour mon propre bien, pour ma survie, tout comme celle de la Meute que je peux décemment pas partager ce genre de choses. J’ai vu de quoi les hommes sont capables devant ce genre de révélation. Je le sais que trop bien. Et quand bien même on pourrait être amis depuis toujours, ça changerait rien malheureusement. Il suffit d’un rien pour que tout bascule et pour qu’une relation vieille de plusieurs années ait plus le moindre poids face à une vérité qui dérange encore et toujours.

J’ai pas longtemps à attendre pour avoir sa réaction à ma proposition. « Vraiment ? » J’ai une œillade incrédule quand il pose la fourchette sur ma main. Ou plutôt, quand il essaie. Sans vraiment lui laisser le temps de réagir, je me suis déjà levé et je l’ai plaqué contre le mur, ma main enserrant suffisamment sa gorge pour lui montrer que ça m’amuse pas, mais alors pas du tout. « Ou alors, au lieu de parler, tu peux aussi jouer au con. J’avoue que j’avais pas pensé à cette option, je te pensais un peu plus malin que ça. » Il a suffi de quelques secondes à peine de contact avec la fourchette en argent pour que je sente la sensation de brûlure tout le long de mon bras. Et forcément, pour agacer la Bête qui a envie de remettre ce petit con à sa place. Ou alors c’est juste moi ça, difficile de faire la part des choses en cet instant.

Je finis par le relâcher, sans le quitter des yeux, croisant les bras, laissant échapper un reniflement un brin agacé. « Essayer d’attaquer quelqu’un qui veut t’aider, c’est jamais une bonne idée. On te l’a jamais dit ? Surtout dans ta situation. » Une inspiration, alors que je retourne m’assoir, comme si rien ne s’était passé. « Tu veux continuer sur ta lancée ou là, on va pouvoir passer aux choses sérieuses ? » Verre vidée d’une traite, alors que je continue de l’observer, bien décidé à anticiper le moindre de ses mouvements. Juste au cas où.

Si j'avais encore des doutes... je n'en ai plus aucun. Ce n'est probablement pas malin, mais je ne sais pas quoi faire de cette nouvelle information. Samuel n'est pas humain. C'est un garou. Et sa réaction fulgurante et instinctive alors que j'essaie de l'effleure avec le couvert en argent, cette simple fourchette, inoffensive, mais qui déclenche une réaction épidermique chez lui, me fait éclater la vérité en plein visage. Le souffle coupé, je me retrouve plaqué contre le mur, sa main m'enserrant désagréablement la gorge. Cette violence réveille les douleurs laissées par l'agression d'Aodh. Réveille des souvenirs que j'aurais préféré oublier également d'ailleurs. Mes mains se portent sur ses poignets pour tenter de le faire lâcher prise. Mais c'est une poigne d'airain... Normal... C'est un garou. Comment aurait-il pu en être autrement ? Et tout ce temps, il a soigneusement masqué sa force et ses capacités et je n'y ai vu que du feu. A mon corps défendant, je ne teste pas tous mes amis ou mes connaissances pour savoir si ils sont fréquentables ou non.

Quelque part... Cela aurait pu être pire. Il aurait pu être un sorcier.

Maigre consolation...

Je le fusille du regard quand il juge ma réaction. Et prends une grande goulée d'air quand il me relâche, toussant pour pouvoir respirer un peu et me massant la gorge endolorie. Le contact a été bref, mais suffisant pour me donner un aperçu de ce qu'il peut faire. Je lui lance un regard torve, choqué de découvrir que je ne le connais finalement pas... « Je voulais simplement en avoir le cœur net... » Je murmure et me redresse, non sans grimacer alors que mon dos a souffert de cette petite altercation. Je reste dos au mur, méfiant, quand il retourne s'asseoir l'air de rien. Je ne le lâche pas du regard. On ne détourne pas le regard d'un prédateur. Il y a de la méfiance dans mes yeux, évidemment. « J'en reviens pas de ne rien avoir vu... » Je soupire et me passe une main sur le visage. « Tu es garou depuis longtemps ? » Tellement de questions... De la colère aussi d'avoir été dupé, et cela vibre dans ma voix.

« J'ai été mordu oui... Et il est hors de question que je m'en prenne à des innocents. » Toute trace de fierté ou d'arrogance a disparu pour ne laisser qu'un profond désespoir. De l'incrédulité également, alors que je ne réalise pas que je puisse me transformer en montre désormais. « Comment tu peux m'aider ? » Il connaît la Meute. Il doit également savoir comment contraindre un jeune garou. Je ne suis pas le premier dans ce cas. Si Aodh a décidé de vivre sa lycanthropie seul en s'isolant dans des coins paumés et sans être guidé, j'ai réfléchi à une autre option. Mais contrairement à lui, je n'ai jamais chassé les créatures surnaturelles pour les tuer en toute impunité... J'ai respecté la loi jusque maintenant.

Décidément, je pensais vraiment pas que la conversation prendrait une telle tournure. Et je musèle rapidement la Bête qui a vraiment pas apprécié la méthode de Ciàran pour confirmer que je suis ou non un CESS. C’est pas le moment de la laisser exprimer le fond de sa pensée, surtout que ça risquerait d’être autrement plus douloureux pour le brun.

Une brève inspiration, alors que je me remets les idées en place, pas vraiment déstabilisé par le regard noir qu’il me lance. Grand bien lui fasse, c’est pas ce qui va me faire m’excuser pour une réaction tout ce qu’il y a de naturel.  « Tu pouvais aussi poser la question. Evite de faire ça à chaque fois que t’auras des doutes, ça pourrait très mal se passer avec quelqu’un qui se contrôle moins. » Et je lève une main dans sa direction avant qu’il réplique ou s’offusque. « Oui, j’aurais aussi pu te demander les choses franchement. Mais au vu de la… situation et des quelques bribes que j’ai pu entendre de ta part concernant les CESS, tu comprendras que je suis plus méfiant qu’autre chose quand on tend des perches pas très subtiles. » Au moins, les choses sont posées.

Je vois à sa posture et à son regard qu’il est tendu et j’ajoute, avec un sourire amusé. « Je vais plus t’attaquer, respire. » Du reste, j’ai un bref haussement d’épaules. « Si ça peut te consoler, c’est un exercice que je pratique depuis très longtemps. » Il faut bien que ça ait ses avantages. Et je reprends tranquillement mon repas, alors que je sens la colère vibrer dans ses paroles. « Depuis ma naissance. » S’il est au courant pour le vieillissement de ceux de mon espèce, il devinera sans peine que je suis plus âgé que j’en ai l’air donc.

Et je désigne son assiette d’un mouvement du menton. « Quand est-ce que tu as été mordu exactement ? » Je continue, ma voix se faisant plus chaleureuse. « C’est pour ça qu’on est là. Que la Meute est là. Pour éviter que tu t’en prennes à des innocents. » Inutile de lui préciser ce que je serais obligé de lui faire si ça arrive malheureusement. On va éviter de lui donner trop d’informations d’un coup, il risque de finir totalement largué et, pire encore, de paniquer. « En temps normal, c’est le garou qui te transforme qui doit t’aider. Te former. Apprendre à vivre avec ta Bête. » Je l’avise quelques secondes, avant de continuer, à mi-voix. « Visiblement, ça va pas être ton cas. » C’est pas vraiment une question vu les échanges qu’on vient d’avoir. « Alors, c’est là que je peux intervenir. Avec les miens. Pour t’aider à vivre au mieux avec cet être qui va partager le reste de ton existence. Pour que vous puissiez trouver votre place tous les deux et … un équilibre. » Bon, dans l’idéal, on parlerait même plutôt d’harmonie, mais on va pas trop s’emballer hein. « La pleine lune arrive bientôt. Qu’est-ce que tu comptes faire par rapport à ça ? » Je penche la tête sur le côté, mon regard se parant de doré une seconde alors que la Bête pointe le bout de son nez, curieuse et que je la laisse faire, pas vraiment inquiet de son comportement. Elle sait que c’est bientôt son heure et elle est toujours aussi impatiente.

Je continue de le fusiller du regard, pas spécialement impressionné, avant d’ouvrir pour répliquer, avec saracsme, que ce n’est pas une répons eà laquelle les gens répondent facilement. Et ce n’est pas non plus évident de savoir à qui on s’adresse dans ces conditions. Autant certains CESS se revendiquent comme tels, mais les loups garous sont beaucoup plus discrets… La preuve, après une décennie à le côtoyer, je ne m’en suis pas douté un seul instant. Mais il me coupe l’herbe sous le pied en devancant ma réponse et en partageant un peu les tort, si on peut dire. Je tique à sa critique à peine voilée concernant mon approche. Je dois reconnaître que j’y suis allé comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais je n’ai pas vraiment le temps de me montrer plus subtile, au risque de me retrouver la gueule dehors à la pleine lune avec de fortes chances de m’en prendre à n’importe qui… Et, au delà de cela… Je suis terrifié par cette épreuve à venir, en ayant suffisamment lu à ce sujet pour savoir que je vais passer un très mauvais moment. Je ne me fais plus guère d’illusion sur la probabilité de la contagion… Trop de signes infomes, qui séparément, peuvent encore être du hasard ou une psychomotisation de mes peurs, mais qui ensemble, dressent le tableau terrifiant du monstre que je suis amené à devenir.

Je ne me suis pas trompé en allant le voir, cependant. Habitant ici, originaire même de ce coin maudit, il était plus que probable qu’il sache trouver les bonnes personnes. De là à taper directement dans le mille… Je le regarde comme si je le rencontrais pour la première fois, le sentiment de familiarité ressenti en sa présence jusque maintenant, se disputant au désagréable sentiment d’avoir été trahi et de ne pas connaître la personne en face de moi. Même si j’ai cru comprendre qu’il savait se… contrôler. Un vieux loup ? Malgré le choc, mon cevreau turbine et essaie de trouver des réponses, des miettes de familiarité auquel se raccrocher. Nous sommes amis et pourtant, je ne le connais pas… Cela tourne en boucle dans ma tête, me rendant méfiant. Il ne m’a jamais fait le moindre mal depuis tout ce temps, il n’y a pas vraiment de raisons que cela change maintenant, hormis le fait que je connaisse son secret.

Il essaie de me rassurer, mais cela ne fonctionne pas très bien. Et je me tends quand il avoue que c’est depuis sa… naissance… Très longtemps donc. Et un doute s’immisce dans mon esprit. Je sais que les loups garous vieillissent plus lentement que les humains. Depuis combien de temps foule-t-il cette terre au juste quand il parle de très longtemps ? Est-ce que je suis vraiment prêt à l’entendre et l’intégrer ? “Tu as quel âge ?” Je n’ai pas pu retenir cette question. A la sienne, je me rembrunis encore. “Il y a une semaine.” Très récent, alors que les blessures ne sont pas encore totalement cicatrisées. Une ombre passe dans mon regard quand il évoque le Garou qui m’a transformé et qui devrait m’enseigner tout ça. “Non, ce ne sera pas possible.” Je pince les lèvres. Aodh est tout aussi largué que moi. Mais il a décidé de se terrer, lui. Et il est de toute façon hors de question que je le balance à ce sujet.

Je me crispe ostensiblement quand il commence son discours sur l’aide de la Meute pour apprendre et affronter tout cela. Une sensation de vertige m’envahit quand je m’aperçois que je suis en train de plonger dans un monde que je n’ai fait qu’effleurer et la majorité du temps… mépriser. Je lève la main, comme pour l’interrompre alors qu’il me sert son petit discours sectaire. “Je veux juste passer la pleine lune loin de toute opportunité de blesser quelqu’un.” Dans un premier temps, j’ai besoin de ça, seulement de ça. Apprendre à vivre avec cette Bête… C’est trop.Je relève les yeux vers lui et capte cette lueur dorée dans son regard… Qu’il a toujours soigneusement étouffer avec moi jusque maintenant. Je recule légèrement, instinctivement devant la manifestation de cette animalité. “Après… Je n’en sais rien…” J’ai un sourire tordu, défaitiste : “Je suppose qu’il n’y a aucune chance que je me fasse des idées et que je ne sois pas contaminé hein ?”

Franchement, qu’il me fusille du regard est vraiment le cadet de mes soucis. Je me contente de hausser un sourcil à son attention, avant d’éclaircir certains points qui me semblent, surtout en cet instant précis, pour le moins important. Comme le fait que j’ai pu lui taire ma nature malgré toutes ces années. Mais j’ai mes raisons et, quelle que soit l’amitié qui peut nous lier depuis tout ce temps, il y a des choses plus importantes. Comme la Meute et sa protection. Qui passent avant tout le reste.

Alors oui, probablement qu’il ne va pas apprécier ça non plus. Mais là encore, je m’en cogne. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont il vit les choses. Et, à voir sa tête, pas très bien en l’occurrence. Un temps, alors que des questions plus pragmatiques prennent le pas sur le reste. Et je finis par esquisser un sourire avant de souffler, me penchant vers lui et sur le ton de la connivence. « Je suis né en 1951. » Mon sérieux revient aussi sec alors qu’il m’annonce qu’il a été mordu il y a une semaine. « A quel endroit ? Je peux voir la marque ? » Ca m’aidera aussi à voir à quelle vitesse il a pu cicatriser. Là encore, même si le loup n’a pas pris sa place, ça donne aussi un indice pour le moins probant.

Un léger froncement de sourcils quand il me confirme que celui qui l’a mordu pourra pas s’occuper de lui. Pas besoin d’en rajouter une couche, alors qu’il finit par lever la main dans ma direction. « Ca doit pouvoir se faire. Pour la pleine lune. Mais tu ne la passeras pas tout seul. » Hors de question de risquer quoi que ce soit. Du reste, je laisse filer un silence à sa question qui n’en est pas vraiment une. Avant de lui rendre un sourire un brin ironique. « J’aimerais te rassurer mais, au vu de tout ce que tu m’as dit, c’est peu probable. Ton loup s’est pas encore réveillé, ça arrivera lors de la première pleine lune. » Je vide mon verre avant de reprendre, non sans me masser la nuque, cherchant par où commencer. « Je … c’est visible qu’à tes yeux, c’est probablement une des pires choses qui pourrait t’arriver. Sauf que tu pourras pas faire demi-tour. » Qu’il essaie pas d’imaginer un remède miracle. Ou qu’il évite de faire n’importe quoi. « Je peux te trouver un endroit tranquille pour la pleine lune. Et pour t’accompagner dans ta première transformation. » Un froncement de sourcils, avant que je reprenne, bien plus sérieux qu’il a pu me voir jusqu’à présent. « C’est un moment délicat. Difficile. Tu dois laisser la place à un être qui, jusque-là n’existait même pas encore. Sans perdre ton identité. Sans le laisser gagner. » Je me frotte le menton, laissant filer un instant. « Et c’est aussi un moment douloureux. Très douloureux. Il faut que tu sois … le moins stressé possible. Pour que ça se passe bien. » Enfin, bien, tout est relatif. Le fait de ressentir sa chair se déchirer, d’avoir l’impression qu’on nous broie de l’intérieur. Et malgré le temps, malgré l’expérience, la douleur est toujours là. C’est juste qu’on s’y fait, tout simplement. « Pour l’après… tout dépend de la vie que tu souhaites mener. Je peux t’aider à ce qu’elle soit aussi normale que possible. Tu pourras même garder ton boulot, continuer de fréquenter les mêmes personnes. Il faudra juste faire… quelques concessions. » Dans tous les cas, l’une de nos règles est de pas laisser un jeune mordu sans supervision. Qu’il espère pas passer sous les radars aussi facilement. Mais ça, je vais attendre un peu avant de lui dire. « A toi de me dire. Même si ça peut attendre la prochaine pleine lune. » Qu’il ait le temps d’assimiler un peu tout ça.

Il s'amuse...

Je tressaille quand il se rapproche de moi avec un petit sourire en coin et me souffle qu'il est né en 1951... Malgré moi, je recule, complètement saisi, alors que j'essaie de faire correspondre cette date de naissance avec son visage. Je calcule rapidement, ne pouvant pas y croire. Il aurait 60 ans ? Il paraît avoir mon âge, pas plus. Mais maintenant que j'y pense, depuis la décennie que je le connais, il a très peu changé. Ce n'est pas vraiment mon cas, ayant gagné quelques rides au passage. On change en 10 ans... Normalement. Je me fustige intérieurement de ne pas avoir été fichu de voir ces petits signes qui aurait du me mettre la puce à l'oreille. Comme quoi, on ne peut vraiment faire confiance à personne dans cette damnée ville. Mais d'un autre côté, il est peut-être ma planche de salut dans cet océan inconnu qui menace de m'engloutir. Alors je ne peux que saisir l'occasion, malgré les griefs que je peux avoir contre lui. J'hésite à sa demande, avant de lui montrer la marque, à contrecœur. Cela a commencé à cicatriser, laissant une cicatrice rouge et boursouflée, encore récente mais... Sans doute moins que cela aurait du. Je ne m'y connais pas spécialement en plaies et cicatrisation, mais je suis quasiment certain que la guérison est un peu plus rapide que la normale. Comme le rétablissement après avoir subi les assauts d'un loup-garou ne se maîtrisant pas du tout. Je me passe une main dans les cheveux, craignant son verdict.

Concernant celui qui m'a fait cela, il est bien entendu hors de question de citer mon frère. Autant rester vague et mentir allègrement. Des loups solitaires qui échappent à la surveillance de la meute, il y en a sans doute une paire en ville. Quoiqu'il en soit, j'ai surtout besoin d'un refuge pour cette nuit. Je sais déjà qu'il se passera quelque chose, plus le temps passe et me rapproche de la date fatidique, moins je me fais d'illusion concernant la contamination. Pas comme ci mon frère n'avait pas essayé de me prévenir en me disant de dégager. Mais je n'ai pas écouté. Pour une fois que c'est moi qui me montre irrationnel et buté... Hum, il aurait été judicieux de choisir d'être con une autre fois. Mais ce qui est fait est fait malheureusement.

Je fronce cependant les sourcils quand il ajoute que je ne passerais pas la pleine lune seul. « Quoi ? » J'articule, pas sûr d'avoir bien compris ce qu'il sous entendait là. Parce que si quelqu'un me surveille et que c'est un loup et que moi, je ne me transforme finalement pas, je risque d'y laisser ma peau quand même. Oui, les chances sont infiniment minces je sais, mais elles existent tout de même. Pourtant, je formule à voix haute mes doutes... Et Samuel ne les dissipe absolument pas. Au contraire. Merde. Merde. Et ce qu'il me dit ne fait que faire grimper la nervosité... Mon loup, pas réveillé ? Et il n'y a rien pour lutter contre ça... Absolument rien. Je comprends que c'est lui qui se propose d'être là cette nuit là... J'hésite. Ce serait un peu rassurant, parce que je le connais. Et gênant également, justement pour cette raison. Mais je ne suis pas certain d'avoir le choix en fait. Et au fil de ses propos, je sens le poids s'alourdir, sur mes épaules et au creux de mon estomac, ayant fini par m'asseoir, comme assommé. Il rend tout cela bien trop réel. « Le moins stressé possible ? » Je réplique avec une ironie suintante, avant de laisser échapper un rire bref, totalement désabusé. « Quel genre de concessions ? » Aodh a choisi de se terrer dans un coin comme une bête blessée, faisant une croix sur sa vie de famille, sur ce qu'il a pu être... Existe-t-il réellement une autre voie, qui me permettrait de conserver un semblant de normalité ? « J'en sais rien... Je n'y connais rien à vos trucs d'animaux et ça ne me plaît pas de devoir rendre des comptes à qui que ce soit. » Autant être honnête jusqu'au bout. Leur truc de Meute, si c'est comme les loups normaux, clairement, ça me déplaît, j'ai pas envie de devoir me... soumettre à qui que ce soit. Ce n'est pas normal. Je comprends la hiérarchie et le fait d'obéir à son supérieur, bien entendu, mais là, j'imagine une sorte de vie en communauté avec l'obligation de baisser la tête et écouter et ça... ça ne passe pas. Alors intégrer leur Meute ? Non... Je veux juste essayer de maîtriser cette saloperie qui risque d'émerger de moi comme ça a émergé d'Aodh, attaquant son propre sang, son reflet... au risque de le tuer.

Je lui laisse le temps de digérer les informations que je lui distille. Est-ce que ça m’amuse ? Il est possible que ouais, une part de moi trouve que la situation a quelque chose de drôle. Même si je suis parfaitement conscient des conséquences, pour lui, pour notre communauté. Alors, je retrouve mon sérieux et j’examine la blessure avec attention, fronçant les sourcils avant de souffler, à mi-voix. « Tu as un début de guérison accéléré. Même si c’est pas au niveau d’un garou éveillé, c’est un indice de plus. » Je suppose que ça va pas lui plaire. Mais au moins, tout concorde.

Et j’essaie de poser calmement les faits, de lui exposer sa situation en essayant de pas trop dramatiser. Difficile de savoir si ça fonctionne ou pas. Ca fait tellement partie de moi d’être un thérianthrope que j’ai parfois du mal à imaginer ce que ça doit faire quand c’est tout récent, comme pour Ciàran. J’arque un sourcil à sa mine perplexe, alors qu’il a pas l’air d’avoir compris ce que je lui ai dit. « Laisser un nouveau garou seul à sa première pleine lune est une très mauvaise idée. Tu as besoin d’un cadre, pour éviter de faire n’importe quoi. Et je t’offre ce cadre. On avisera par la suite de ce que tu auras envie de faire ou non. Aucune obligation. » Si ce n’est de respecter les quelques règles mais ça, c’est une évidence que je me garde bien de lui énoncer une nouvelle fois.

Je relève pas l’ironie de ses propos et je me contente de répondre, d’un ton calme qui tranche avec le sien. « Tu vas être stressé. De plus en plus. A mesure que le moment fatidique va arriver. Tu vas te sentir agité, nerveux et j’en passe. Mais j’ai quelques trucs pour t’aider à rester aussi tranquille que possible. » La méditation peut en faire rire beaucoup, mais ça marche, je suis bien placé pour le savoir. Je me retiens pas de lever les yeux au ciel à son rire désabusé, mais je garde toujours mon calme, lui esquissant même un sourire conciliant. « Tu n’es plus tout seul. Il va falloir apprendre à laisser de la place à ton loup. Sinon, il va se sentir oppressé et finira par être hors de contrôle, à vouloir te voler la tienne. C’est un équilibre pas si compliqué à obtenir. Si tu prends la peine de t’écouter. Et d’écouter les gens autour de toi. » Mon ton a changé et se fait plus assuré, avant de plisser les yeux à sa réplique pour le moins désobligeante. « Nos trucs d’animaux sont aussi les tiens maintenant. Et tu vas avoir des comptes à rendre. Comme tu as déjà dû en rendre avant même que ça n’arrive. Sauf si tu passais ton temps à désobéir à la loi ? » Il y a rien de bien compliqué mais clairement, je pense qu’on va avoir du mal avec cette forte tête. La dominance de son loup m’inquiète pas vraiment, surtout vu ma propre position et son jeune âge. Mais ça, il le découvrira en temps voulu. Pas la peine de le braquer davantage.

Je reprends, croisant les bras. « Je te l’ai dit, il n’y a aucune obligation. Pas besoin de rejoindre la meute, ni même d’en croiser ses membres, à part l’Ulfric. Mais, même en étant solitaire, tu dois respecter quelques règles. Rien de bien compliqué, je te l’assure. » Un mince sourire, avant de le fixer quelques instants. « Je t’aiderais pour ta première pleine lune. Ca te va ? » Essayer de prendre un problème à la fois. « Et à te maitriser. Ca fait partie de mon rôle dans la Meute. C’est quelque chose que je sais faire depuis des décennies, alors là-dessus, pas d’inquiétudes. » Reste à voir si ça lui convient ou pas, même si ses options sont un peu limitées. « Alors ? »

Je pince les lèvres, l’expression fermée en dissimulant de nouveau la plaie, alors que Samuel ne fait qu’entretenir mes craintes. Ou plutôt, ne fait que les confirmer. Aodh ne m’a pas loupé… Et me voilà en train de devenir comme lui. Comme Samuel. Comme d’autres dont j’ignore probablement la simple existence. Je soupire, me passant la main sur le visage, avec une extrême lassitude. Je voudrais pouvoir juste oublier ce qui est en train de se passer, le fait que mon corps est soumis à des changements. Ils sont subtils, mais pourtant, ils sont autant de petits indices vers une transformation future en quelque chose que je ne comprends pas vraiment et qui me… dégoûte. Il est évident que je ne confierais jamais cela à Samuel, je doute qu’il comprenne, même avec la plus grande indulgence du monde. Il me propose pourtant une alternative en attendant. Il n’est pas question que je rejoigne la Meute, mais il n’est pas envisageable de me laisser seul à ma première pleine lune. Je ne peux que songer avec amertume à Aodh, qui les a passé seul, dans son coin, comme un animal blessé. A-t-il déjà blessé quelqu’un d’autre ? Tué ? La pleine lune laisse amnésique les jeunes loups, il peut très bien avoir attaqué des innocents et n’en avoir conservé aucun souvenir. Je ne suis pas certain que cela le traumatise vraiment, mais c’est un autre sujet.

Les conseils de Samuel me semblent un peu idiots sur le coup. Comment ne pas être stressé par la perspective de souffrir et devenir quelque chose sur laquelle on n’a aucune emprise ? De révéler le monstre qui est tapi en moi et ne demande qu’à se dégourdir les pattes ? L’angoisse est déjà présente, sourde, en fond, mais qui enfle doucement, comme un raz de marée qui se prépare tranquillement en attendant de déferler et de tout ravager sur son passage. Il attire mon attention en évoquant quelques petits trucs pour être plus tranquille. Dommage que les substances illicites ne soient plus vraiment efficaces… Cela m’aurait bien aidé, quelques herbes pour se détendre. Mais l’entendre me rappeler que je vais devoir faire confiance à d’autres personnes… C’est difficile. Je connais le travail d’équipe bien entendu, mais l’esprit communautaire c’est encore autre chose. Il n’y a jamais eu que ma famille. Et depuis très longtemps, juste Aodh. Rien que lui. Mais même un jumeau peut vous trahir. Involontairement, mais si il m’avait informé de ce qu’il lui est arrivé au lieu de se terrer et me laisser remuer ciel et terre pour le trouver, nous n’en serions pas là. N’avait-il donc pas suffisamment confiance en moi pour savoir que malgré sa nature, je ne me serais pas détourné de lui ? L’inverse n’aurait peut-être pas été vrai cependant, étant donné ses opinions et ses activités…

Je réponds sans détour à Samuel que je ne suis pas certain de savoir gérer ces trucs… Ce qui l’offense, naturellement. Ce n’était peut-être pas très malin de parler ainsi de sa race. Enfin… de la notre maintenant, du coup, comme il ne manque pas de me le rappeler. Je grimace quand il évoque des comptes à rendre, avant de secouer tout de même la tête quand il parle d’obéir et de respecter les lois. « Il y a longtemps oui, mais plus depuis des années. Plus depuis que j’ai intégré la police puis le PASUA. » Enfin, peut-être ai-je parfois fermé les yeux quand cela risquait de toucher mon frère et ses affaires, mais hormis cela… Encore une fois, ce sera pour lui que je garderais le silence sur sa nature et ce qu’il m’a fait. Il me briefe alors sur le fait que cela ne sera pas si pénible. Juste respecter quelques règles simples. Et le laisser assister à ma première pleine lune. « Si je comprends bien, tu vas être… mon mentor ? » Je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou m’en inquiéter. « Resserre-moi un verre, j’en ai besoin. » De plusieurs bouteilles même. Mais je suis venu chercher des conseils et de l’aide, et Samuel m’offre les deux. Alors j’accepte. Il sera là à ma pleine lune. Qui arrive plus vite que je ne l’aurais voulu. Samuel avait raison, le stress n’a fait qu’augmenter au fil des jours. Et je me rends au lieu convenu avant que la nuit ne tombe, sensible aux heures qui passent et à l’influence de l’astre nocturne. Ce soir… Je ne peux qu’écouter les conseils et prendre sur moi.