Il y avait, dans l'atmosphère, le bruissement subtil du temps qui passe, incertain et frémissant, insinuant ses silences entre les pensées et les battements de cœurs : le rappel impitoyable d'un quelque chose d'imminent et de terrible. Une menace sourde et sous-jacente que rien ne pouvait réellement effacer tout à fait. Là dehors, les bois brûlaient, et si cette réalité ne s'était pour le moment manifestée que d'une manière encore dérobée, nul doute que là, quelque part, la forêt hurlait d'une douleur silencieuse, une cicatrice terrible qui la rongeait de l'intérieur et petit à petit s'épandait comme une tache d'acide sur la peau.
Daphné, ton lien à la Kisatchie était trop fort pour que ton esprit ne l'ignore complètement et tes efforts pour mettre en sourdine cette plainte muette était une piètre tentative. Là dans le fond de ton esprit l'image rémanente de l'incendie naissait également en toi : une cicatrice aux bords calcinés grignotant ta conscience, laissant la trace noirâtre d'un début de culpabilité. Pour autant, aurais-tu pu y faire grande chose ? Probablement, mais alors quid de cette présence secrète sentie au cœur des bois ? Il y avait là un choix à faire, qui ne laisserait pas intact dans tous les cas, mais les arbres repousseraient, eux, pas le cœur de cette Terre qui vous protégeait tous. Et malgré la présence des munins au Caern, malgré cette réserve colossale de pouvoir sur lequel les Loups s'étaient installés, quelque part il y avait cette question qui restait en suspens dans un malaise certain : quel péril vous guettait là ?
Car quoi d'autre qu'un grand péril aurait, sinon, organisé une telle distraction ?
Eoghan, tu le sens, toi aussi, ce silence caractéristique qui traduit l'attention vigilante d'un quelque chose qui ne se sent ni ne se goûte, qui ne s'entend ni ne se voit, et qui pourtant rôde là dans les tréfonds inconscients où naissent tes pensées.
Elle observe.
Elle attend. Guettant, dans les ombres, sans l'once d'une explication ni d'une main tendue, fidèle à elle-même dans le secret de ces arcanes qui se méritent. Il te manque des éléments, tu le devines, pour concrétiser le rôle à jouer qu'on attend de toi, si tant est que rôle à jouer il y ait. Quels liens entre des loups garous et
La Tempête ? Quel genre d'
opportunisme entre ce qui s'en vient et l'incarnation maudite des arcanes ? Toi, le paladin qui as accueilli avec la plus volontaire des grâces une éternité de servitude, que peux-tu faire ici et maintenant qui ait un impact attendu sur le cours des choses ?
Que peux-tu faire, toi, Hérault des sombres mystères, qui œuvre dans le secret de Son nom, qui puisse faire basculer les choses en Sa faveur ?
Que peux-tu extraire, de tout ce chaos ?
Les possibilités sont nombreuses, et tu devines qu'il faudra tirer du jeu l'épingle la plus affûtée, la plus subtile, la plus terrible, même si tout ceci paraît bien nébuleux encore, au point de se demander si tu ne fais pas partie - sans le savoir encore - du camp de cette force ennemie toujours indévoilée.
Elizabeth, tes caméras se bornent à renvoyer la même chose, toujours, encore, ce bruit blanc inutile d'une obscurité muette qui baigne les quelques arbres et chemins guettés par tes yeux artificiels. Même Dave, le Raton, où quelque soit le nom débile qui lui sera attribué un jour si vous survivez, a quitté son emplacement, détalant sans demander son reste face à ce qui restera pour toujours une menace hors champ, suscitant mystère et nervosité.
[Un dernier jet dans la roulette russe, n'importe qui peut le faire]Roulant à une allure presque déraisonnable, en feux de croisement uniquement, vous empruntez ces petits chemins de terre cahoteux bien connus des forestiers et des rares personnes détenant les secrets de la Kisatchie, bientôt trop étroits pour ne pas laisser quelques marques et égratignures liées à la végétation dense sur la carrosserie. Liés tous ensemble par la magie mentale d'Eoghan, il est facile de vous coordonner, de guider les uns et les autres et d'anticiper les virages traîtres même en plein cœur de la nuit.
Devant, en pointe de ce fer de lance mécanique, s'élance
Samuel, babines au vent et museau à l'affût, sens en alerte, instincts acérés. Il y a, dans ce qui s'apparente à une ouverture de chasse, le goût sanglant d'une violence qui n'attend que d'éclater, la promesse mesquine réservée à ceux qui viennent violer ces terres sacrées, pensant pouvoir s'en prendre à cette famille qui ne peut compter presque que sur elle-même pour affronter un monde hostile et prêt à éteindre tout surnaturel. Et, comme son ombre,
Joan suit Samuel elle aussi transformée, sous forme Hispo, silhouette noire fendant les flots de la nuit avec détermination. Vous pouvez tous, au travers du lien d'Eoghan, sentir qu'émane d'elle des fragments de pensées tournées entièrement vers leur destination. Des bribes qui mélangent de la colère, de la culpabilité et une hargne certaine, peut-être même un peu trop puissante, pour celle qui a dû survivre au crime de haine de son propre frère.
Elle légèrement à droite, Samuel légèrement à gauche, voilà de bien mortels gardes qui ouvrent la voie à la troupe qui s'en vient juste derrière.
Bientôt, néanmoins, vous voilà contraints de quitter vos chariotes de métal, à l'orée de la zone de protection qui repousse les moldus, comme aiment à dire les plus jeunes de la Meute, alors qu'il n'existe plus vraiment de chemins permettant de laisser passer les voitures. Ce n'est pas plus mal, dans un sens, à moins de vouloir annoncer en grande pompe votre arrivée, bien que l'idée de rouler sur la mystérieuse présence ait pu en effleurer un ou deux.
Ciàran, il y a dans ta chair le frisson d'un quelque chose qui n'a fait que de s'accroître à mesure que vous progressiez. Quelque chose qui éveille ton instinct, dans un sens que tu ne jugerais pourtant pas intrinsèquement mauvais. Une vibration, familière contre toute attente, un
appel peut-être. Il y a là, dans cette forêt, un secret qui ne parle qu'aux individus comme toi, et dont tu commences à peine à percevoir les intonations. Un lieu secret, sacré, empreint des énergies de la Lune et qui accueille et juge les premiers pas d'un nouveau-né en ces lieux avec attention, scrutant les actes et les décisions.
Daphné, quelque chose t'a marquée pendant le trajet : la
chose qui s'avance vers le cœur du Caern - tu en es certaine désormais - ne prend même pas la peine de vraiment suivre les chemins qui y mènent. Elle avance, en ligne
quasiment droite, comme menée par un instinct invisible et quelque peu saugrenu.
Comment ? Tu l'ignores, mais elle est
dangereusement proche de la clairière de la Meute. Il vous faut agir maintenant ou vos chances de la rattraper s'évanouiront, et qui sait ce qu'il adviendra alors.
Il y a, en tout cas, dans l'air une composante étrangement surnaturelle. Est-ce le frisson habituel du nœud de pouvoir qui affleure en surface non loin ? Est-ce cette demi lune aveugle qui observe ses enfants évoluer sur cette scène, absolument muette ?
Est-ce ce troublant silence qui soudain se porte à votre attention ? Le vent, tombé, ne souffle plus. Les chants nocturnes, eux, sont en suspend.
Ni sérénade casse-pied de la rainette faux-grillon des hautes terres, ni hululement caractéristique des rapaces perchés hauts dans les arbres.
Ni serpent qui rampe, ni ratons qui déboulent des fourrés se disputant un quelconque butin.
Rien, dans cet endroit pourtant si familier, si vivant, si baigné des énergies de la vie et de la Lune.
Rien, si ce n'est,
Odelia,
Daphné, le frisson d'un sentiment familier. Cette empreinte, là dans la terre, froide et aseptisée, neutre, sans goût ni saveur. Un quelque chose qui rappelle le printemps englué par le froid des gelées, une trace de magie étrange qui imbibe toute chose d'un subtil moirage, à l'image du chemin irisé de bave laissé par les escargots sur leur passage. Une trace qui s'en va dans la forêt sans suivre les chemins, qui traversent tout ce qu'il y a à traverser, sous-bois, fourrés, bosquets, sans logique apparente, et qui ne laisse derrière aucune trace ni empreinte.
Un moirage qu'il aurait été bien difficile de discerner sans ce lien magique qui exacerbe presque vos magies,
Daphné,
Anaïs,
Eoghan,
Odelia. Un voile qui n'est pas sans rappeler l'état de la terre après le mystérieux nettoyage de
Goldonna dans cette grange, quoiqu'un peu différent ici.
Hello Humans.
Brièvement, des bribes de vos visions vous reviennent, Daphné et Odelia, ce carnage vu en rêve qui pourtant n'existait déjà plus dans la réalité. Un carnage exécuté dans une grange pleine de pièges à loups.
De pièges à loups.Est-ce là l'heure de la rétribution ?
Pour un acte que vous n'auriez pas commis ?
Qui, alors ?
Qui a dirigé l'ire d'une force inconnue sur le Caern ?
Odelia, un frisson te parcourt l'échine tandis que cette trace laissée là dans la terre, malgré sa tonalité étrangement neutre et effacée, n'est pas sans te rappeler l'incision d'un scalpel, la chirurgie brutale d'une magie qui brûle la chair comme une radiation. Une magie qui fait étrangement écho à un passé lointain, sans que tu ne réussisses pourtant à l'affirmer avec certitude. Car il y a quelque chose de...
Différent. Une subtilité terrifiante qui a recousu ici la terre avec le doigté d'empreintes qui n'existent pas.
Vous savez l'ennemi proche, suffisamment pour vous forcer à devoir être discrets. Samuel et Joan pourraient les surprendre avec la vélocité de poids lourds lancés à toute allure, mais pour trouver quoi ? Pour se heurter à
quoi ?
Au loin, entre les arbres, vous pouvez à peine distinguer, très faiblement et d'une manière anormalement lointaine, ce qui s'apparente à une lueur. Une lumière blanche qui évoluerait entre les arbres, à une allure moyenne mais constante. Irréelle, fantomatique, persistante, elle évoque ces feux follets qui dans les légendes se manifestent à l'orée de la perception pour égarer les voyageurs. Néanmoins, elle est anormalement encore trop loin pour en discerner les contours d'ici. Daphné, tu as la certitude que c'est en cette direction que se trouve le non espace qui évolue en secret sous les protections du Caern et qui berne la vigilance des uns et des autres.
Mais il n'y a ni agitation, ni hurlement des munins. Rien qui, pour le moment, ne puisse trahir une quelconque méfiance de la part de la forêt, dont l'attention est focalisée sur la plaie brûlante qu'on lui inflige à deux kilomètres de là.
Samuel, tu sens comme
Joan que tes sens te trompent, ou que quelque chose trompe tes sens. Tes oreilles parcourent les alentours à la recherche d'indices, mais les sons sont comme étouffés, la forêt endormie par des artifices qui te mettent mal à l'aise. Il n'y a ni herbe foulée, ni branche brisée, ni trace dans la terre pourtant humide de la nuit.
À renifler en insistant, tu perçois néanmoins des odeurs, estompées mais bien présentes, comme si leur piste datait de plusieurs jours. Il y a le piquant, étouffant, de fumées d'encens, d'épices et de fleurs, d'herbes et de poudres, qui paraissent lointaines, comme dispersées, et qui brouillent les autres odeurs, les rendant très difficiles à percevoir, même pour toi. À vrai dire, si tu n'y prends pas garde, tu pourrais facilement te laisser berner et penser qu'il s'agit là d'odeurs de pins, d'aiguilles mortes, d'humus et des choses de la forêt. Une illusion presque parfaite, même pour toi.
Presque, mais il n'en est plus rien maintenant.
Car au milieu de cet imbroglio de senteurs, tu perçois quelque chose que tu reconnais à coup sûr, et qui dissipe cet engourdissement des sens qui te saisit.
C'est l'odeur d'Esteban.
Et celle du sang.