Dans l'arène des lions

19 décembre 2021 ❅

24h que le message est posté. Ou presque. Isalín reste sous le choc de la quantité vertigineuse de commentaires et de DM qu’elle reçoit. Quelques haineux, certes, mais beaucoup de soutien. Contrairement au début d’année, lorsque le monde découvrait sa condition et qu’elle était radiée des championnats du monde, elle ne se focalise que sur les mots positifs. Parfois, il n’y a rien de plus qu’un « courage » associé à un    ou un    et ça lui suffit. Elle se sent moins seule. Jamais, jusqu’à lors, elle n’avait mesuré à quelle point elle s’était isolée. Le monde était là pourtant, prêt à lui tendre la main. Ceux qui prétendent qu’elle ne récoltera que de la défiance ou de l’agression ont tort. Ouais… ils ont tort. Il faut donner sa chance aux meilleurs côtés de l’humain, sinon, ils n’ont plus qu’à tous se jeter par la fenêtre. Ce serait préférable à une lente agonie paranoïaque.

- Hum ?

Sofia et Lizzie viennent de faire irruption dans sa chambre. L’Islandaise ne les a probablement pas entendues s’annoncer car son casque l’enveloppe dans une bulle sonore made in Aurora. Vautrée dans ses oreillers, un mollet calé sur le genou opposé, l’adolescente lève les yeux sur les deux inséparables avec l’air d’un poisson pris dans un filet de pêche.

- Euh… ouais ? V’voulez quoi ? J’ai oublié d’ranger un truc ?

A en juger par leurs tronches, ce n’est pas ça. Isalín lâche un loooooong soupir et consent à se redresser, ôtant le casque de ses oreilles. Désormais en tailleur sur son lit, les épaules aussi basse que si ses bras étaient en plomb, elle fait la moue en attendant ce qu’on a à lui dire. Ça sent un peu les remontrances tout ça, non ? Sauf qu’elle ne sait pas ce qu’elle a fait de mal cette fois !

« Elle aurait pu nous en parler. » « Parce que tu l’aurais fait toi, à son âge ? » J’ai un léger sourire amusé alors qu’elle semble encore hésiter. « Et pourquoi pas ? » « Parce qu’on est trop vieilles ? Limite des boomeuses à ses yeux. Je sais, c’est moche. » Elle fronce les sourcils. « On est carrément pas vieilles, on est trop sexy pour être des boomeuses… Mais t’as peut-être raison. Et puis, c’est sa décision. » Oui, sa décision hyper courageuse.

Comme on est polies et qu’on respecte l’espace de chacune, je toque et attends sagement. Mais vu la musique que j’entends, je suppose qu’elle a son casque sur les oreilles. Un coup d’oeil à Sofia et j’ouvre la porte, laissant la cousine entrer en première. Je me mords la lèvre, retenant un rire en voyant sa tête, et Sofia secoue la sienne. « Non, rien de grave, t’en fais pas. Juste… » Elle va s’asseoir sur le coin du lit et lui sourit. « On a vu ta publication. Et on voulait te dire qu’on est super fières de toi. »  Elle me jette un coup d’oeil et je hoche la tête. « C’est un très joli texte que tu as écrit. Et ça a dû te demander beaucoup de courage, bien plus que la plupart des gens n’ont pas. T’as de quoi être fière oui. » La plupart des gens genre moi ? Non, c’est un peu différent, parce que ça impliquerait forcément ma famille, et que je ne prendrais pas cette décision à leur place. « On se disait juste que tu aurais pu nous en parler avant si ça te pesait tant. » Sofia sourit, soulagée que j’aborde ce point. « On aurait pu t’aider, que ce soit au quotidien ou pour la publication. » « On est là pour ça ! » Même si j’ai déjà fait mon maximum pour limiter la casse et les haters sur son compte… Mais je vais peut-être pas le dire ça.

- Ah.

Elles ont vu.

Isalín ne sait pas si elle est contente d’entendre sa cousine lui dire qu’elle est fière ou soulée que sa famille s’en mêle. Disons qu’elle sent venir la leçon de moral ; les compliments ne sont là que pour lui faire avaler la pilule, pas vrai ?! Mais c’est son truc, rien qu’à elle. Peut-être pour la première fois de sa vie, elle a une conviction qui la transcende ; elle ne va pas laisser les vieux la décourager !

- Vous en parler pour quoi ? Ronchonne-t-elle avec désillusion. V’pouvez pas comprendre t’façon, ni empêcher les gens d’me suivre, alors…

Elle hausse les épaules. C’est la vérité vraie : ce ne sont pas les menaces à l’encontre des habitantes de cet appartement qui manquent, mais que peuvent-elle faire concrètement ? Quand ce n’était pas un corbeau mort dans la boîte aux lettres, c’était de l’argent sur la poignée ou un crucifix sur la porte. Y’a rien à faire à leur échelle hormis garder la tête haute et… riposter. Quant au ressenti, et bien… dans cette chambre, la seule qui a vu sa vie complètement chamboulée parce qu’elle se découvre des pouvoirs du jour au lendemain, c’est Isalín.

- C’ma mère qui vous a appelées, c’est ça ? interroge-t-elle, sur la défensive. J’lui ai d’jà dit que j’veux pas rentrer en Islande et j’changerai pas d’avis sur c’que j’ai posté ! Les gens doivent s’réveiller un peu, j’veux pas passer l’reste d’ma vie à m’planquer.

Le monde connait déjà sa nature de toute façon, malgré elle. La renier serait une abominable perte de temps. Mais elle peut encore transformer tous ses déboires en quelques choses de… mieux.

« Non, elle n’a pas… Bon si elle a appelé au moins sept fois. Depuis ce matin… mais je n’ai pas répondu. » Sofia grimace. « Je lui ai renvoyé un message pour dire que j’avais beaucoup de taf, mais que tout allait bien et qu’il ne fallait pas qu’elle s’inquiète. » « Tu resteras ici aussi longtemps que t’en auras envie Isa. Tu es chez toi. » « Exactement ! Et si ta mère n’est pas contente, elle n’a qu’à venir te chercher. » On ne la laissera pas partir pour autant. Je me passe la main sur la nuque en soupirant alors que Sofia semble lire dans mes pensées. « Mais même si elle fait ça, comme à dit Lizzie, tu es ici chez toi, donc on te défendra. » Je souris. Si sa mère ressemble à la mienne, ça risque d’être sportif. Personne ne ressemble à mère.

Je fais quelque pas et m’accroupis face à Isa. « Et je suis d’accord avec toi. On peut agir, faire bouger les choses et faire partie de ceux qui aident à ce que tout se passe bien entre les communautés. Mais ça n’empêche pas d’être prudente, de réfléchir. » Sofia me regarde comme si une deuxième tête venait de me pousser et détourne les yeux pour ne pas montrer son sourire. Connasse va. « Ce que je veux dire, c’est que… On peut prendre soin de toi. On peut garder un œil sur toi, même si c’est pas ce que tu veux entendre. Ça veut pas dire qu’on va t’empêcher d’agir ou de faire comme tu l’entends, juste que… on veille les unes sur les autres. D’accord ? »

Un coup d’œil échangé avec Sofia et je me mords l’intérieur des joues. J’aurais sans doute dû en parler avec ma mère avant… ou avec je sais pas qui. Mais ça se saurait si je réfléchissais à ce genre de trucs. Ouais, l’hôpital, la charité, tout ça.

« Et on peut comprendre ce que tu traverses, au moins en partie. Je sais pas ce que ça fait de se retrouver à l’autre bout du monde, de se retrouver seule… » « Elle n’est pas seule ! » « Mais je sais ce que c’est d’être différente et d’avoir peur de ce que les autres peuvent voir en toi. Je sais ce que ça fait de vouloir être acceptée, pour ce que tu es. » Je me passe la langue sur les lèvres. « Et je suis d’accord avec toi. Je suis convaincue que la tolérance et la compréhension passent par l’échange et la sincérité. Si on leur en laisse la possibilité, si on leur parle, si on les écoute, on peut leur montrer. Je suis persuadée que les gens peuvent comprendre et accepter. » J’esquisse un sourire. « Mais ça ne veut pas dire que tu dois le faire seule. Tu comprends ? »

- Ah, donc d’après toi, j’réfléchis pas ?! riposte-t-elle du tac-au-tac.

Sofia aussi lance un regard évocateur à sa meilleure amie, ce qui pousse l’adolescente à ne pas embrayer dans la foulée. Heureusement qu’elle a été un peu calmée par le fait que ses deux aînées assurent ne pas se ranger du côté de sa mère, sans quoi, elle serait montée dans les tours. Elizabeth essaye donc de reprendre son discours avec une paire de pincettes. Boudeuse, Isalín ronchonne et regarde ailleurs, mais elle ne peut empêcher la trentenaire de marquer des points. Veiller les unes sur les autres, ouais…

- Hum, bougonne l’Islandaise à la fin de la tirade – c’est ce qu’elle a de plus proche d’une approbation en réserve.

Elle écrase ses yeux contre ses paupières et lâche un long soupir. La tension redescend, elle ne se sent plus obligée de défendre son point de vue bec et ongles. Bon, elles ne savent pas tout de ce qu’elles ont entrepris avec Naya, mais c’est peut-être mieux comme ça. Ce jeu est dangereux et pour elles, la frontière est floue entre l'assurance, le courage et une forme d'’insouciance arrogante propre à l’adolescence.

- J’suis pas toute seule, répète-t-elle finalement. J’ai des amies hein ! Au moins deux en tout cas. Et puis… j’ai pas peur, j’suis énervée ! Point très important. Ça m’soule qu’la Révélation ait eu lieu y’a genre trop longtemps, et que j’sois quand même privée d’ma vie parce qu’j’ai faire des trucs qu’les gens comprennent pas. C’est pas d’ma faute ! appuie-t-elle. Et ça m’rend folle d’voir le nombre d’gens surnaturels qui s’contentent de s’cacher. C’est injuste ! conclut Isalín en cri du cœur taché d’une voix d’enfant.

Injuste, oui. Mais l’objectif lui parait plus évident que colossal : c’est à sa génération de faire changer les choses. Les vieux sont paumés, ils ont raté l’essentiel. La « Révélation » est faite pour les gens de demain, pas pour ceux d’hier.

J’étais aussi reloue que ça ? « C’est pas ce que j’ai dit. Ou ce que je voulais dire.
Elle fait sa mauvaise tête, comme toute ado qui se respecte, mais au moins, elle écoute. Mais putain, je pensais pas me retrouver à cette place avant un moment. C’est méga chiant d’être la voix de la raison, responsable et sérieuse.

Je la dévisage et esquisse un sourire. « C’est cool que tu aies des amis sur qui compter, vraiment. » Un coup d’oeil à Sofia qui hoche la tête en me rendant mon regard. « Oui, c’est  super important. Ça peut te sauver la vie, parfois, d’avoir des gens sur qui compter. » Un nouveau sourire, plus grand, adressé à ma meilleure amie. Ouh, ça, par contre, ça pique. C’est fou comme tout est relatif selon l’âge qu’on a. Je me frotte les yeux à mon tour et laisse filer en soupirant. « Pour toi, c’était y a longtemps. Tu as grandi avec, en sachant, et en connaissant tout ce qui t’entoure. Pour les autres, ceux qui étaient déjà adultes, c’est plus compliqué d’appréhender les choses et d’accepter qu’un genre de monde parallèle a toujours coexister avec eux. Et qu’ils n’ont jamais rien vu…Ils doivent remettre en question tout ce qu’ils ont toujours cru savoir. »Ce n’est pas une raison, ce n’est pas suffisant, et ça ressemble à une excuse, mais c’est difficile d’accepter de tels bouleversements.

« Et bien sur que non, ce n’est pas de ta faute Isa !  » « Je suis sincèrement désolée que tu n’aies pas eu le choix. ça a été difficile pour toi, ça l’est toujours, et je le concois parfaitement. Et non, ce n’est pas normal que tu sois d’office rangée dans une case et que tu ne sois plus libre de faire ce que tu veux. » Je me passe la langue sur les lèvres en inspirant lentement. « Tu es en colère. Mais beaucoup ont peur. Peur pour la vie de leurs enfants, de leurs parents, pour leur propre vie. Reprocher aux gens de vouloir se protéger, leur famille et eux-mêmes, tout ce qu’ils ont, n’est pas non plus une solution. » Même si c’est injuste que l’on puisse se cacher alors qu’elle a été lancé en pature en direct à la télévision.  « Certains n’ont pas forcément le choix. Se cacher est parfois une question de survie. La vérité c’est qu’il y a toujours eu et qu’il y aura toujours des personnes qui pensent que nous ne méritons pas de vivre et que nous tuer n’est pas vraiment un meurtre, car nous ne sommes pas humains.  » Je vois Sofia écarquiller les yeux et je me rends compte de ce que je viens de dire. Merde. Tant pis.

Je soupire et dévisage la jeune fille. « Il faut changer les choses. On peut faire changer les choses, j’en suis persuadée. Ce que tu as fait est déjà un courageuse et grand premier pas. Ce qu’on voulait te faire comprendre, c’est que nous pouvons le faire avec toi. Qu’on peut trouver ensemble des moyens, des solutions, de nous faire entendre du grand public. Qu’on veut aussi faire évoluer la façon dont les humains voient les CESS. »

- Ouais bah avoir peur, c’est pas une excuse, ronchonne-t-elle.

Elle veut bien comprendre… mais non, elle n’y arrive pas. C’est trop. Comment on peut, simplement parce qu’on est trop bête pour faire un petit effort, condamner des tas et des tas de personnes à se cacher ? Juste apprendre à connaître les CESS, ce qui est à portée du moins, permettrait de réduire les préjugés. Mais on a d’une part des « humains » obtus et de l’autre, des « surnaturels » renfermés sur eux-mêmes. En fait, Isalín réalise là que tout le monde la soule : aucun des camps ne cherche à vraiment communiquer avec l’autre, c’est affligeant. C’est TROP relou. L’Islandaise capte l’expression de Sofia, horrifiée des mots d’Elizabeth.

- Ça va hein, j’suis pas une gamine, pas la peine d’me préserver. J’ai reçu des animaux morts j’te rappelle et… une fille que j’connais a eu des menaces avec un chat cloué sur sa porte. J’sais très bien c’que certains veulent nous faire…

Isalín hausse les épaules. Elle a 17 ans, c’est largement assez pour se renseigner et voir la réalité en face, hein ! Mais bon, elle n’appuiera pas là-dessus car en fin de compte, la conclusion de son aînée… va dans son sens. Il faut faire quelque chose et elles sont partantes pour l’aider. Un grand sourire fend son visage constellé de son, chassant l’humeur bougonne comme les nuages d’un ciel orageux.

- OK ! Vous avez quoi comme idée alors ?! Oh, elle ne va pas leur dire qu’elle en a déjà.

« Je n’ai pas parlé d’excuse, mais d’explications. » J’ai un instant d’hésitation en fixant mes mains. « Le regard que les gens portent sur les vampires, sur les arcanistes ou sur les  thérianthropes n’est pas le même Isalin. Ça te paraît difficile, pourtant, les arcanistes sont sans doute les mieux acceptés de tous les CESS… Tu ne sais pas non plus ce que les lycanthropes ont traversés et… » Un soupir m’échappe.  

« Ce n’était pas pour te préserver, enfin si… Mais pas là… » J’échange un regard avec Sofia, et je n’ai pas le temps de reprendre que la jeune fille semble se métamorphoser en se rendant compte que nous ne sommes véritablement pas contre elle et que nous souhaitons, nous aussi, faire avancer les choses. Faire changer les choses.
« Des idées ? Et bien tu as déjà pris position, officiellement. Je me disais qu’on pouvait peut-être t’aider à être davantage vue et entendue… Sur les réseaux sociaux principalement, et à la télé accessoirement. Si tu es d’accord évidemment, et nous ne te laisserions jamais seule. » « On serait toujours à tes côtés. Et il n’y aurait pas que toi, mais tu… tu as lancé quelque chose. Tu as allumé une flamme et tu… tu passe bien, tu es jeune et on te donnerait le bon Dieu sans confession… Il faudrait deux-trois têtes de proue pour bien faire les choses. » Je me passe la langue sur les lèvres. « On peut mettre en place des manifestations, pacifiques cela va de soi. Je peux me débrouiller pour trouver des images des humains… enfin, des chasseurs, ceux qui s’en prennent sans vergogne aux CESS sans défense, et montrer au monde que ce sont eux, les méchants. »

« Et... » J’inspire profondément. « Quand Sofia m’a regardé avec un air de poisson mort, ce n’était pas pour te ménager. Elle a été surprise que je… de m’entendre dire nous... » J’ai un sourire sans joie en regardant la jeune fille. « Crois-tu que l’argent ou le bouquet d’aconit étaient pour toi ? » Mes yeux virent à l’ambre sans que je ne la quitte du regard. « Je t’ai dit que tu n’étais pas seule et que rien n’était aussi simple que ça. Il faut mettre en place une stratégie… Une politique de comm, pour nous faire entendre et nous faire accepter. »

L’adolescente plisse le nez en dévisageant ses deux aînées. Ah, elles veulent vraiment être toujours avec elle ? C’est un peu embêtant ça. Mais le pire, c’est qu’elles s’enflamment les bougresses ! Elles ont déjà réfléchi et analysé le truc, elles ont même souligné qu’elle est « media friendly » (autrement dit : blanche, jeune et anglo-saxonne… à 50%). C’est embarrassant et flatteur à la fois.

- Ouais, carrément !

C’est tout ce qu’elle trouve à dire. Elle a besoin d’y réfléchir ! … et d’en parler avec son agente – Naya. Ce n’est pas qu’Elizabeth et Sofia ont des mauvaises idées – au contraire – mais Isalín aurait bien aimé gérer ça toute seule en fait. OUI C’EST PARADOXAL ! Mais elle a 17 ans, OK ? Donc elle veut ne pas se sentir seule MAIS se la jouer solo. Elle veut avoir du soutien MAIS être indépendante. Simple, non ? Les contradictions, ça fait son charme.

La jeune femme n’écoute plus qu’à moitié, elle ne percute donc que la moitié de ce qu’essaye de lui faire comprendre la coloc’ de sa cousine. L’argent et le bouquet d’aconit n’était pas pour elle ? Sofia a eu une tête de poisson mort ? En dépit du changement de couleur des yeux d’Elizabeth, c’est soudainement vers sa cousine que se tourne l’Islandaise. La stratégie de comm peut attendre !

- Mais nooon ! T’es une garou ?!

Le bon côté, c’est qu’elle n’a pas l’air totalement fermée à nos propositions, et donc à notre aide. De toute façon, il vaut mieux que l’on fasse ça ensemble que chacune de son côté, ce sera plus efficace non ? Du moins, pouvons-nous nous entraider et lui faire comprendre qu’elle n’est pas seule, quitte à ne lui apporter notre aide que ponctuellement si elle le désire.

… Même si c’est pas gagné. Je plisse les yeux en la dévisageant, me demandant un instant si elle le fait exprès. Elle ne m’avait pas paru si… je vais pas dire idiote, ce serait carrément pas sympa, mais disons… Godiche ? Ouais, non, c’est pas très sympa non plus ça. Tête en l’air ? On va dire ça comme ça. Mais quand même, mes yeux ont bien changé de couleurs non ? Si ça se trouve, j’arrive même plus à contrôler ça… ça craindrait si c’était le cas ! Mais vu la tête de Sofia, non, c’est pas moi le problème.

« Euh… non. Je suis pas… T’es sérieuse ? » Je sais pas trop si je dois me vexer ou pas là en fait. « Elle non, mais moi oui. » Je lui fais un coucou de la main, histoire d’attirer son attention. « Et ça doit rester entre nous, parce que comme dit, les lycanthropes sont loin d’être aussi bien accueillis que les arcanistes. » Quand on sait que c’est déjà pas forcément la joie pour ces derniers… Enfin, elle aussi a bien du voir la vidéo qui a fait de nous des monstres. « Et j’ai aucune envie d’exposer des proches, ou même vous, à la vindicte populaire par égoïsme. »Je laisse filer un soupir en la dévisageant. « Je comprends parfaitement ce que tu peux ressentir, je t’assure. Et j’ai tout autant envie de faire évoluer les choses. » J’ai un sourire en coin alors que je lui tends une main partiellement transformée. « Donc… ça te dit qu’on bosse ensemble ? »J'écarte les mains et lui souris. « Et je répondrai à tes questions si tu en as. »

- Ah… oooh !

Ce qu’elle est bête !

Bon, à sa décharge, elles n’ont pas été très claires et l’adolescente à d’autres soucis en tête là. Les siens par exemple. Oui oui, c’est un peu égoïste, mais Elizabeth a déjà un travail qui fonctionne et un appart’ cool, non ? Elle n’est pas une jeune femme de 17 ans dont la vie a été foutue en l’air. Qu’importe ceci dit, Isalín prend les alliées où elles sont et à vraie dire, elle est GRAVE excitée de savoir qu’elle habite avec une lycanthrope ! Comment elle a pu rater ça !

- Mais nooon, trop… trop dément ! s’exclame-t-elle face à la main partiellement transformée de son aînée. Compte sur moi ! Et elle lui serre la patte, grand sourire aux lèvres. Bien sûr, j’ai des tas d’questions ! Genre quand tu t’transformes, tu déchires tes vêtements comme Hulk ? Ou bien ils sont tous en spandex pour pas finir à poil quand tu rapetisses ? Et… et c’pour ça qu’tu manges autant en fait ? Mais pourquoi t’es pas juste carnivore ? T’es dans la « Meute » là ? J’en ai entendu parlé dans l’Arche, et…

Elle peut continuer comme ça longtemps. Vraiment très longtemps. Elle a sur son visage constellé les marques de l’émerveillement tout adolescent : clairement, Elizabeth vient de prendre 100 points de teen cred’ d’un coup !

Je suis pas sûre que c’était la meilleure chose à faire, et à dire, mais c’est trop tard pour se demander maintenant. Et puis, elle avait besoin de savoir qu’elle n’était pas la seule à ‘être différente’ et à devoir apprendre à gérer et affronter le regard des autres… et les dangers que cela implique.

Peut-être qu’elle se confiera davantage maintenant, peut-être qu’on pourra l’aider un peu plus. En attendant, sa réation est plus que positive et nous rappelle, surtout, qu’on a affaire à une ado, s’il fallait des preuves supplémentaires. Quoique je suis sûre que la plupart des adultes poseraient les mêmes questions… ceux qui ne cherchent pas à nous tuer j’entends.

Je suis obligée de lui retourner son sourire, serrant doucement sa main et je hoche la tête. « Ouais, ça fait beaucoup de questions. » J’agite mes doigts qui reprennent forme humaine et je soupire. « On apprend rapidement à pas être pudique, donc on se désape avant les transformations, sinon oui, c’est un carnage et j’aime beaucoup trop mes fringues pour ça. » Je la fixe et me relève. « Je mange pas tant que ça. » J’ai le droit à des yeux écarquillés de la part de Sofia qui se met à ricaner. Je pourrais presque me vexer là. « Mais oui, c’est probablement pour ça que je mange plus que vous. J’ai faim d’ailleurs, pas vous ? Il reste des beignets ? Un beignet et du café, ça te dit ? » Je me dirige vers la cuisine tout en continuant à parler. « Je suis pas carnivore, parce que j’adore le sucre… Plus sérieusement, non, je suis pas une louve à 100 %, l’humaine a besoin d’autres choses que de barbac. »

Je commence à préparer le café, croquant dans un beignet, la laissant poser ses mille autres questions avant de tenter d’y répondre autant et aussi bien que possible.
Après tout, on a le temps, et elle a bien le droit d’être curieuse… et peut-être que la prochaine fois, elle nous tiendra au courant de ses activités. On peut toujours rêver.